#20jours#20souvenirs - Jour 5 - 1986 – Grève générale !
Note préliminaire
Cet article reflète en partie mes opinions personnelles et je l’assume totalement. Il relate aussi des faits tels que j’ai le souvenir de les avoir vécus du haut de mes seize ans et peuvent bien sûr ne pas être totalement objectifs (dans le sens où les souvenirs sont parfois « trompeurs »).
Un gouvernement de centre-droit au pouvoir
En faisant des recherches sur les évènements de l’année 1986 et particulièrement du printemps qui fut socialement très « chaud », il es assez remarquable qu’il n’existe quasi aucune source sur Internet ! Qu’à cela ne tienne, je vais m’en remettre à ma mémoire (que j’espère pas trop défaillante) pour cet article.
La Belgique est dirigée par une coalition dirigée par le chrétien démocrate flamand Wilfried Martens. Les gouvernements se succèdent assez rapidement à l’époque, en 1986 c’est donc Martens VI qui succède à Martens V qui est tombé sur le drame du Heysel. La coalition est la même que pour le gouvernement précédent : libéral-social chrétien (avec équité linguistique).
Caricature de Wilfried Martens que j'ai réalisée en 1987
La Belgique sort aussi d’une vague d’attaque criminelles mortelles commises par une bande nommée « les tueurs du Brabant ». Ils visaient en particulièrement les supermarchés Delhaize et tiraient au hasard sur les personnes faisant leurs courses de fin de semaine. Une affaire qui n’a jamais été résolue et reste un mystère encore aujourd’hui sur les motivations et qui se cache derrière ces attaques insensées.
1986, c’est aussi le retour au calme après une vague d’attentats commis par les C.C.C. (Cellules Communistes Combattantes), un groupuscule de lutte armée d’extrême-gauche. Pierre Carette, le fondateur du groupuscule et d’autres membres sont arrêtés en 1985 et marque la fin de plusieurs années de lutte violente. Les C.C.C. sont à la Belgique ce qu’a été la R.A.F. (Rote Armee Fraktion)
La tension sociale est aussi à un niveau élevé, la crise économique fait rage et particulièrement dans les anciens bassins miniers et industriels de Liège et Charleroi. Les fermetures d’entreprises, les restructurations et les pertes d’emploi inhérentes n’arrangent rien.
En 1985, la Belgique a fêté les 150 ans du rail en Belgique et les 100 ans du Vicinal mais l’ambiance n’est pas à la fête, la SNCB a connu son plus important plan de restructuration en 1984 avec la fermeture de nombreuses lignes et arrêts et la tendance en 1986 n’est pas au beau fixe… On ne parle que de restructuration, notamment dans le domaine des marchandises et du transport de colis par les soins de SNCB Colis.
Les profs ne sont pas de meilleure humeur, car là aussi, il est question d’économies, de réduction de moyens… Les finances de la Belgique doivent être assainies, un vieux refrain qui se répète de décennie en décennie depuis plus de cinquante ans ! Il faut dire que le Néo-Libéralisme est à l’offensive depuis que Reagan et Thatcher sont arrivés au pouvoir aux USA et en Grande-Bretagne.
Dans le registre des réjouissances, 1986 a été l’année où les Diables Rouges sont allés jusqu’à la petite finale de la coupe du monde au Mexique, nous avons terminés quatrième, notre meilleure performance jusqu’ici !
Un dernier fait marquant de cette année 1986 : l’unique victoire, à ce jour, de la Belgique au concours eurovision de la chanson avec le désormais célèbre J’aime la vie chanté par la toute (trop d’ailleurs) jeune Sandra Kim !
Mai 1986=Mai 1968 ?
C’est en tout cas le message qui circulent dans les milieux estudiantins dont je faisais partie à l’époque et dans une école d’Arts, peut-être plus qu’ailleurs. Toujours est-il qu’un jour de mai 1986, j’ai pris le matin le train comme d’habitude pour me rendre à l’école mais que je suis revenu à pied !
En effet, au début de l’après-midi, il y a déjà des bruits qui courent que les cheminots ont commencé à débrayer bien vite suivi par les bus. Je me souviens d’avoir appelé ma mère d’une cabine téléphonique à l’entrée de la gare des Guillemins et ai encore pu prendre un bus jusqu’au centre-ville d’où j’espérais avoir un bus vicinal pour rentrer à Herstal mais arrivé Place Saint-Lambert, les bus aussi s’étaient mis en grève et j’ai donc poursuivi ma route à pied pour rentrer chez moi, soit sept kilomètres.
Le lendemain, pas de trains, pas de bus, et bientôt pas d’école ! La grève a duré un bon mois et même encore plus longtemps du côté de Charleroi.
Grande différence par rapport à aujourd’hui : lorsqu’il y avait grève, tout était paralysé au niveau transports et il n’y avait pas de service garanti ! Donc grève égalait pas de trains ! C’était pareil dans les bus, à Liège du moins. Autre grande différence, la présence encore importante d’industries de l’acier dans les bassins de Liège et Charleroi et les « métallos », il ne fallait pas trop les provoquer ! Les échauffourées n’étaient pas rares entre ces derniers et les forces de l’ordre (je ne cautionne pas la violence, il s’agit de dresser le tableau des évènements). La société était aussi beaucoup plus solidaire qu’aujourd’hui, l’individualisme, les smartphones et les réseaux sociaux n’existaient pas à l’époque et il y avait une plus grande pluralité de la presse par rapport à aujourd’hui.
La seule chose qui ne change pas : les patrons critiquaient les grèves et trouvaient déjà que les travailleurs coûtaient trop cher, que les grèves étaient néfastes pour l’économie, … des arguments qui tournent en boucle depuis un demi siècle !
Inutile de dire que les examens de fin d’année ont été un peu chamboulé avec cette longue grève de la fonction publique.
Un souvenir plus personnel, lorsque les trains ont recommencé à rouler, au début juin si je me souviens bien, je m’étais rendu à la gare de Guillemins pour le plaisir de regarder les trains. La grève se poursuivait à Charleroi et sa région et par conséquent les trains circulaient partout sauf dans cette région. Cela a duré encore une semaine dans mon souvenir !
Ni la première, ni la dernière
Cette grande grève de 1986 n’était évidemment pas la première ; déjà cent ans plus tôt, en 1886, il y eut le premier grand soulèvement ouvrier en Belgique. L’autre grève, vraiment générale celle-là, qui toucha la Belgique avec même un vent de révolte est celle de 1960 où la nouvelle gare (à l’époque) des Guillemins fut saccagées par les gréviste. Cette grève de 1960 était dirigée contre le gouvernement et son projet de « loi unique » (qui fut malgré tout adoptée) et où il était question, je vous le donne en mille, d’austérité et de redressement des finances publiques. Mono-maniaque le gouvernement ?
Depuis 1986, je n’ai pas souvenir de grève d’une telle ampleur mais depuis fin 2024 et les premiers projets de l’actuel gouvernement « Arizona », la contestation sociale gronde comme jamais et prend de l’ampleur notamment chez les cheminots, le secteur non-marchand, les fonctionnaires, le personnel médical, … des secteurs souvent utilisés comme variables d’ajustement budgétaires… Et le fait qu’il « faille » se réarmer face à la prétendue menace russe, ne va pas arranger les choses.
Allons-nous connaître une mobilisation aussi fort qu’il y a près de quarante ans ? Cela est possible et même souhaitable, car jamais les épaules des plus larges ne sont réellement mises à contribution ou alors du bout des lèvres… mais la polarisation de la population attisée par les réseaux « sociaux » (asociaux devrait-on plutôt dire), le dialogue de sourd entre les syndicats et les patrons et l’individualisme qui a atteint un summum pourrait avoir raison beaucoup plus vite que par le passé de la contestation…
L’avenir nous le dira…
Quelques liens sur divers éléments historiques et politiques relatés ici